23.12.08

les belles choses

moi qui ne suis pas aussi optimiste que certains de mes collègues sur l'évolution du monde, je voulais parler des quelques points qui me font plaisir dans le contemporain. ils ne sont pas originaux, et surtout, on les voit partout à la télé, je ne suis pas mieux informée que toi, cher lecteur, mais je me plais à faire des listes.
il y a l'élection de barack obama. ça ne changera peut-être rien, peut-être qu'il ne mettra pas la CMU aux états-unis et que l'éducation ne sera pas en si bon état que ça dans trois ans (même s'il essaie de copier l'école maternelle française avant son fracassement au fond du gouffre réformateur de nos contemporains gaulois). souvenons-nous un instant de catherine (katrina) et de la vaste majorité de personnes de peau noire écrasées par la catastrophe, du remplissage des prisons par des personnes de la même couleur en priorité et à plus de 80%, et puis il n'y a pas si longtemps de la ségrégation officielle qui marquait le pays qui vomit l'imaginaire collectif du monde post-... post-quoi d'ailleurs ? pas post-moderne, on l'aurait remarqué. post- .... post-ma naissance ? ça c'est sûr, mais ils avaient commencé avant. post-création du cinéma, on va dire, et migration des cerveaux là-bas pendant la dernière guerre, et migration dans l'autre sens avec le mac carthysme. c'est compliqué l'histoire idéologique. en tout cas, grâce à 24, et à son président noir depuis quelques saisons (et quel président ! rarement on vit président si humain et viril tout à la fois ! fendons-nous d'exclamation pour david palmer), remplacé par son frère noir, comme pour créer une de ces dynasties qu'affectionne ce grand pays de démocratie (démocratie : pays où la majorité et l'opposition, à un très haut niveau politique, se reproduisent de père en fille et de père en fils, sans aller dans les détails de liens cousinesques, de façon tout à fait ouverte et bien documentée, et très autorisée grâce à des instances de reproduction sociale fort efficace telles des grandes écoles --- d'ailleurs, le pouvoir se laisserait-il partager ? non. alors il est bien normal que ceux qui le portent soient obliger de le garder longtemps et de le transmettre à la chair de leur chair. la république bananière s'en différencie car (et là, cher lecteur, je te laisse le soin de remplir, car cet argumentaire m'est impossible à développer, je n'en sais mais)).
or donc, pour continuer mes réjouissances, il existe également des mouvements sociaux chez les voisins, à quelques mètres, dans un pays qui certes sent un peu la poussière (je me permets, j'ai visité et observé les comportements, vêtements et moustaches des hommes, particulièrement ringardes chez les plus de 30 ans (ce qui, je le répète, est jeune pour porter des costards en polymère et une moustache tombante, en ce siècle naissant). mais j'avais déjà noté dans les films que les modes en zone vers-balkanique était assez déprimantes) mais qui est finalement très proche de nous autres : la grèces. je ne suis pas ce qui se passe avec une attention soutenue, mais la destruction systématique de magasins de luxe, sans même leur cambriolage me réjouit (mais franchement, quel intérêt y aurait-il à posséder des montres abusivement chères ou des voitures de collection dans un monde comme le nôtre - déjà les pauvres conducteurs de 4x4 de nos villes, ces minables petits se(a)igneurs qui se comportent en roitelets de la route, d'un outil de distinction sociale ont fait un signe de vulgarité ostentatoire, alors comment rechercher encore l'objet qui différencie lorsque l'on est riche ? c'est d'une absurdité qui me semble si siècle dernier que je m'apitoie sur leurs neurones gonflés de graisses poly-insaturées (mais pas encore bio, parce qu'il n'y a pas la pub à la télé)). car les grecs n'hésitent pas à casser tout ça dans la joie et la violence trop longtemps contenues, et finalement, me réconcilient avec l'anarchisme dont je pensais qu'il ne m'allait pas au teint.
note un peu négative dans mon délire joyeux. lecture du livre qui compile des illustrations d'hara-kiri, et qui sort pour, je suppose, une dizaine d'années quelconque en forme de célébration. la sélection est étrange, car ne montre que les aspects de la provocation la plus vulgaire, sans tellement s'attacher aux travaux plus politiques et poétiques. je sais que le sexe était un sujet politique à l'époque, mais l'extraction de quelques éléments si directement tournés vers la monstration de zones érogènes sous toutes les formes a réussi à me lasser. connaissant une partie des documents originaux dans leur intégralité, je tiens à rappeler que le travail allait beaucoup plus loin que ça. un manque flagrant de dessins de reiser et de topor sont à déplorer (qui ne sont que très peu représentés). bref, je trouve peu représentatif le choix qui a été fait, mais je remercie quand même les auteurs de ces pages qui ont créé, pour moi, une mythologie toute particulière de l'opposition à la pensée dominante, d'une radicalité qu'on retrouve plus tard chez mon idole disparue, pierre desproges.
revenons aux plaisir de fin d'année, et la chaussure lancée sur g.w.b. bien sûr, c'est surtout le courage de ce journaliste, dont on se demande un peu ce qui a pu lui passer par la tête et dont j'aurais tout d'abord parier qu'il allait se prendre, dans un caboche justement, un chargeur bien plein de flingue de barbouze. et pourtant, il a bien exprimé un désaccord, et il n'aura que 15 ans de prison. je sais que l'opposition politique, dans de nombreux pays, coûte cher (et que ce sera bientôt le cas en gaule aussi). mais ce geste qui semble si futile et vaguement inefficace me touche particulièrement. surtout quand on sait que maintenant la mode est lancé et que le nec plus ultra des prochaines semaines sera de marcher dans les chaussures que portait cet homme (qui sont devenues des pièces à conviction, donc maintenant il porte des birkenstock offertes par un journaliste allemand en signe de soutien). le quart d'heure de célébrité qui coûte cher.
en gros, on peut voir que je me réjouis de plein de petites choses qui me semblent nous sortir de la routine télévisuelle de base, MAIS rien de tout cela en france. la crise mentale est toujours là, nous sommes des tristes et des peureux, et le secouage ne viendra pas en cette fin d'année, même si nos lycéens sont bien actifs en ce moment.
si tout continue à se réchauffer comme ça à l'international, par contre, je parie pour un printemps de fête. et souvenons-nous que les congés payés ont été faciles à instaurés car elles ont servi à arrêter les grèves de 36. on sait donc que si les vacances arrêtent les grèves générales, c'est qu'elles ont été conçues pour par les méchants capitalistes aux longues dents. d'ailleurs si vous voulez vérifier que la droite est plus maligne que ce que ses réformes destructrices de confiance dans le prochain et de tissu social laissent à penser, allez sur le site de l'élysée. je suis encore scotchée de sa qualité et de la déprime qu'il inspire (en même temps).

8.12.08

les recycleurs de rue

Je suis assez marquée par les reportages télévisuels en ce moment, principalement parce que dans ma bêtise contemporaine, je regarde beaucoup l'écran qui bouge tout seul et qui endort conséquemment les neurones. A l'instar de la publicité qui continue à exhiber une grande quantité de voitures et de produits de beauté pour pauvres, le reportage montre des régularités surprenantes. Je dirais, en gros, qu'on parle des ultra-riches et des populations à la limite et sous le seuil de pauvreté. Il n'y a pas tant de sujet autres concernant la France.
Hier, nous passions donc de Dubaï, où tout le monde était très excité par l'ouverture imminente d'un très grand hôtel, Atlantis, bâti autour d'un aquarium géant où se prélasse un adorable requin baleine adolescent nourri aux produits de la mer fraîchement sélectionnés. La femme du propriétaire, ancienne mannequin, se réjouissait en attendant d'enfiler sa robe pleine de paillettes chères. Les restaurateurs s'affolaient que leurs serveurs ne sachent expliquer la recette de la ratatouille, et le responsable des boissons n'avait pas reçu toute sa cargaison d'élixirs luxueux. L'on était bien bas mais encore stimulé par le stress, parmi ces personnalités à la réussite exubérante. Après, tout tournait autour d'un russe excité qui souhaitait jouer le héros devant sa dulcinée déjà conquise et parée pour la nuptialité.
Etrangement, j'avais du mal à sentir l'empathie nécessaire à ma concentration sur le sujet. Une forme de fadeur d'ennui me semble toujours suinter des amusements des riches, et j'ai du mal à entrer en vibration avec leurs libations.
Le reportage suivant m'a semblé plus porteur de thématiques touchantes, et ils s'agissait bien sûr de la deuxième extrémité de l'échelle des intérêts sociaux des grandes sociétés de production de l'écran sans fond. Les puces. Là où des petits font au quotidien vivre le commerce. Une étrange entreprise, où chacun prend des risques mesurés et étend doucement mais sûrement son emprise, en maîtrisant pas à pas de son développement. Et c'est ainsi que chez les plus pauvres, la récupération et la débrouille permettent de développer durablement (semble-t-il), et équitablement. Un grand entrepreneur, à l'échelle considérée, a monté un trafic honnête entre Tunisie et Paris en investissant 6000 euros qui se sont transformés en jeans et en sweat-shirt, classés selon plusieurs marques qui prétendent à la concurrence ("aux puces aussi on est au fait des techniques de marketing", dit-il). Les machines de l'usine sont vieilles, les tissus de récupération, les formes d'inspiration libre à partir des grandes marques. C'est une industrie qui n'existe donc qu'en creux de ceux qui ont innové et inventé la chaîne en premier, ont payé des créatifs et investi dans des machines qui tournaient rond (et certainement semblaient moins prêtes à exploser en projetant des aiguilles affutées en tout direction, mais les normes de sécurité varient d'un pays à l'autre). Pour être un chef d'entreprise, il faut cependant une énergie débordante, faire la surveillance des usines et l'entretien du moral des troupes, acheter le tissu (qu'il faut savoir identifier), décharger les cartons, vendre sur le marché en baragouinant dans une langue adaptée au client. Même si l'achat s'étend progressivement dans les boutiques environnantes et que la fonction "vendeur" se délocalise un peu en conséquence, on peut considérer qu'on a sous les yeux ce qui ressemblerait beaucoup à une chaîne courte du textile (un intermédiaire). Quand on plaint, légitimement, nos agriculteurs qui, s'ils veulent chaîner court, doivent savoir faire gestion et vente aguicheuse en sus d'un dur labeur terrestre, on note que les autres branches sont tout aussi dépendantes d'une inventivité et d'une énergie sans fin. On dira que c'est là le vrai commerce, viser une petit niche et l'investir du mieux que l'on peut, en la définissant et en rendant le client accro des produits y proposés et y définis par soi. On dira aussi que si la Chine veut supprimer le droit d'auteur, c'est bien parce que toute cette industrie ne fonctionne que si l'on copie sans souci les productions d'autres, chez qui la partition du travail et la spécialisation de chacun dans des corps de métier, est plus claires.
On vit d'autres narrations. Puis vint le tour du biffin. Hors du circuit, lui. Sans officialisation ni inscription. Pour lui, la baraka : point.
C'est un petit métier, qui se traduit un peu différemment dans notre ville du Sud, surtout parce que les lieux de vente doivent changer régulièrement (par exemple on y a mis des parkings ou des chantiers sans fin). Et aussi parce que les quartiers riches, ici, regorgent un peu moins que la capitale de poubelles débordant de mille feux. Les chiffonniers passent la nuit dans les poubelles, d'où ils reviennent exténués et hachés menus par la honte, la saleté, la fatigue. Le sous-prolétariat se lève ensuite à 7 heures pour s'aligner sur des rues où traînent leurs alter ego pas encore sdfisés, et avec qui quelques pièces s'échangent contre ces déchets revus à la hausse. Qu'on voit un produit rejeté devenir source de revenu est déjà assez désagréable, même si de nombreux films sur les poubelles du monde entier nous ont habitués à ce que pauvres et riches n'évaluent pas à l'identique le besoin de renouvellement de leur matériel quotidien. Plus violent encore est le retour de ce fonds de commerce au rôle d'ordure quand la police accourt, sommée par les sommets de nettoyer de la faune impure des zones mal sécurisées, et fait tout remettre là où le bourgeois et la société de c**on veut que le produit aille : la décharge, en passant par le camion-benne. A Marseille, sans cesse les vieux étaient délogés et perdaient leur butin. Maintenant leur marché fermé, ils sont, en bas de la rue d'Aubagne devenus très nombreux, mélangés qui plus est aux grands professionnels de cette activité que sont les migrants "roms" (s'ils le sont).
Vu depuis la population locale, une pratique courante revient à laisser les déchets qu'on envisage récupérables très visibles et loin d'une contamination de poubelle courante, pour faciliter le labeur des recycleurs des rues. Vu depuis le pouvoir en place, les difficultés qu'on leur fait sont peut-être justifiées, car ils sont si nombreux, dirait d'aucun, que l'ordre public pourrait en être troublé.
Ma question est : cela n'affole donc pas mon Etat et son gouvernement qu'ils soient si nombreux, d'une certaines façon si efficaces et créatifs, si utiles aux autres petites gens, et pourtant si empêchés, méprisés, sales, tristes, vieux prématurément, fragiles, exclus des règles de l'efficacité officielles, celle qui réduit le sens en augmentant la concentration de l'appareil productif (zet conséquemment de la récupération du profit) ? La grande pauvreté a toujours existé, mais en voyant que tant de parents se précipitent pour racheter des biens alimentaires non refrigérés et largement dépassés à des glaneurs de poubelles, je commence à frémir et à me demander si, finalement, les étudiants grecs n'ont pas un peu la bonne méthode de communication.

En passant, je dis bonjour à Paulo, mon lecteur du Nord, dont la fidélité ne m'a pas lâchée malgré l'irrégularité.