8.12.08

les recycleurs de rue

Je suis assez marquée par les reportages télévisuels en ce moment, principalement parce que dans ma bêtise contemporaine, je regarde beaucoup l'écran qui bouge tout seul et qui endort conséquemment les neurones. A l'instar de la publicité qui continue à exhiber une grande quantité de voitures et de produits de beauté pour pauvres, le reportage montre des régularités surprenantes. Je dirais, en gros, qu'on parle des ultra-riches et des populations à la limite et sous le seuil de pauvreté. Il n'y a pas tant de sujet autres concernant la France.
Hier, nous passions donc de Dubaï, où tout le monde était très excité par l'ouverture imminente d'un très grand hôtel, Atlantis, bâti autour d'un aquarium géant où se prélasse un adorable requin baleine adolescent nourri aux produits de la mer fraîchement sélectionnés. La femme du propriétaire, ancienne mannequin, se réjouissait en attendant d'enfiler sa robe pleine de paillettes chères. Les restaurateurs s'affolaient que leurs serveurs ne sachent expliquer la recette de la ratatouille, et le responsable des boissons n'avait pas reçu toute sa cargaison d'élixirs luxueux. L'on était bien bas mais encore stimulé par le stress, parmi ces personnalités à la réussite exubérante. Après, tout tournait autour d'un russe excité qui souhaitait jouer le héros devant sa dulcinée déjà conquise et parée pour la nuptialité.
Etrangement, j'avais du mal à sentir l'empathie nécessaire à ma concentration sur le sujet. Une forme de fadeur d'ennui me semble toujours suinter des amusements des riches, et j'ai du mal à entrer en vibration avec leurs libations.
Le reportage suivant m'a semblé plus porteur de thématiques touchantes, et ils s'agissait bien sûr de la deuxième extrémité de l'échelle des intérêts sociaux des grandes sociétés de production de l'écran sans fond. Les puces. Là où des petits font au quotidien vivre le commerce. Une étrange entreprise, où chacun prend des risques mesurés et étend doucement mais sûrement son emprise, en maîtrisant pas à pas de son développement. Et c'est ainsi que chez les plus pauvres, la récupération et la débrouille permettent de développer durablement (semble-t-il), et équitablement. Un grand entrepreneur, à l'échelle considérée, a monté un trafic honnête entre Tunisie et Paris en investissant 6000 euros qui se sont transformés en jeans et en sweat-shirt, classés selon plusieurs marques qui prétendent à la concurrence ("aux puces aussi on est au fait des techniques de marketing", dit-il). Les machines de l'usine sont vieilles, les tissus de récupération, les formes d'inspiration libre à partir des grandes marques. C'est une industrie qui n'existe donc qu'en creux de ceux qui ont innové et inventé la chaîne en premier, ont payé des créatifs et investi dans des machines qui tournaient rond (et certainement semblaient moins prêtes à exploser en projetant des aiguilles affutées en tout direction, mais les normes de sécurité varient d'un pays à l'autre). Pour être un chef d'entreprise, il faut cependant une énergie débordante, faire la surveillance des usines et l'entretien du moral des troupes, acheter le tissu (qu'il faut savoir identifier), décharger les cartons, vendre sur le marché en baragouinant dans une langue adaptée au client. Même si l'achat s'étend progressivement dans les boutiques environnantes et que la fonction "vendeur" se délocalise un peu en conséquence, on peut considérer qu'on a sous les yeux ce qui ressemblerait beaucoup à une chaîne courte du textile (un intermédiaire). Quand on plaint, légitimement, nos agriculteurs qui, s'ils veulent chaîner court, doivent savoir faire gestion et vente aguicheuse en sus d'un dur labeur terrestre, on note que les autres branches sont tout aussi dépendantes d'une inventivité et d'une énergie sans fin. On dira que c'est là le vrai commerce, viser une petit niche et l'investir du mieux que l'on peut, en la définissant et en rendant le client accro des produits y proposés et y définis par soi. On dira aussi que si la Chine veut supprimer le droit d'auteur, c'est bien parce que toute cette industrie ne fonctionne que si l'on copie sans souci les productions d'autres, chez qui la partition du travail et la spécialisation de chacun dans des corps de métier, est plus claires.
On vit d'autres narrations. Puis vint le tour du biffin. Hors du circuit, lui. Sans officialisation ni inscription. Pour lui, la baraka : point.
C'est un petit métier, qui se traduit un peu différemment dans notre ville du Sud, surtout parce que les lieux de vente doivent changer régulièrement (par exemple on y a mis des parkings ou des chantiers sans fin). Et aussi parce que les quartiers riches, ici, regorgent un peu moins que la capitale de poubelles débordant de mille feux. Les chiffonniers passent la nuit dans les poubelles, d'où ils reviennent exténués et hachés menus par la honte, la saleté, la fatigue. Le sous-prolétariat se lève ensuite à 7 heures pour s'aligner sur des rues où traînent leurs alter ego pas encore sdfisés, et avec qui quelques pièces s'échangent contre ces déchets revus à la hausse. Qu'on voit un produit rejeté devenir source de revenu est déjà assez désagréable, même si de nombreux films sur les poubelles du monde entier nous ont habitués à ce que pauvres et riches n'évaluent pas à l'identique le besoin de renouvellement de leur matériel quotidien. Plus violent encore est le retour de ce fonds de commerce au rôle d'ordure quand la police accourt, sommée par les sommets de nettoyer de la faune impure des zones mal sécurisées, et fait tout remettre là où le bourgeois et la société de c**on veut que le produit aille : la décharge, en passant par le camion-benne. A Marseille, sans cesse les vieux étaient délogés et perdaient leur butin. Maintenant leur marché fermé, ils sont, en bas de la rue d'Aubagne devenus très nombreux, mélangés qui plus est aux grands professionnels de cette activité que sont les migrants "roms" (s'ils le sont).
Vu depuis la population locale, une pratique courante revient à laisser les déchets qu'on envisage récupérables très visibles et loin d'une contamination de poubelle courante, pour faciliter le labeur des recycleurs des rues. Vu depuis le pouvoir en place, les difficultés qu'on leur fait sont peut-être justifiées, car ils sont si nombreux, dirait d'aucun, que l'ordre public pourrait en être troublé.
Ma question est : cela n'affole donc pas mon Etat et son gouvernement qu'ils soient si nombreux, d'une certaines façon si efficaces et créatifs, si utiles aux autres petites gens, et pourtant si empêchés, méprisés, sales, tristes, vieux prématurément, fragiles, exclus des règles de l'efficacité officielles, celle qui réduit le sens en augmentant la concentration de l'appareil productif (zet conséquemment de la récupération du profit) ? La grande pauvreté a toujours existé, mais en voyant que tant de parents se précipitent pour racheter des biens alimentaires non refrigérés et largement dépassés à des glaneurs de poubelles, je commence à frémir et à me demander si, finalement, les étudiants grecs n'ont pas un peu la bonne méthode de communication.

En passant, je dis bonjour à Paulo, mon lecteur du Nord, dont la fidélité ne m'a pas lâchée malgré l'irrégularité.

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