25.6.09

je n'aimerais pas être clown

(Quand je m'ennuie en congé maladie, j'écris)
(La première version de ce texte date du 23 juin mais il a été corrigé plusieurs fois)
(ARRGGG : nouvelle correction du 30 juin - découverte d'une émission ("mots croisés") où le sketch de Desproges que je cite dans les réponses aux critiques est montré (je pense par Guillon lui-même) pour répondre à "peut-on rire de tout ?". J'avais mal cherché, donc - on peut lire tout de même mon post qui n'est pas si nul et si finalement je tombe d'accord avec le sujet central du post, c'est pas si grave)

Motivation (comme on dit au boulot)
Je me découvre, en ces temps de maladie où le travail n'occupe qu'une part infime de ma pensée, une personnalité de ringarde absolue. Un collègue particulièrement branché, sympathique et attentif (dans l'ordre qu'on veut) m'a orienté en ce début de convalescence longue vers tous les podcasts auxquels il est abonné. Je comprends un peu mieux pourquoi il est branché : il sait, lui, utiliser sainement ses déplacements automobiles ou pédestres pour cibler des informations pertinentes sur le monde hors de son champ de perception, là où je me limite à m'informer du degré d'incivilité de mes concitoyens en temps réel (aujourd'hui 5.8 sur l'échelle Nicolas Sarkozy, comme dirait Bilal dans Froid Equateur) ou je me repais de romans, inutilités futiles s'il en est.
Alors c'est en juin 2009 que je découvre l'existence de Stéphane Guillon. A ce degré de ringarditude (comme on dit maintenant), je devrais avoir honte, mais finalement j'ose exposer publiquement devant mon quart de lecteur (ce blog est presque mort de faim) cette infirmité. Je note en passant qu'attendre que l'on m'informe des éléments saillants du monde a toujours été mon point fort, sauf en cinéma, en bd et en littérature, où je suis plutôt un agent pro-actif (piètre défense, ici). Je serai obligée dans ce post qui se veut un peu intelligent, documenté et pertinent, de me référer à l'occasion à des sentiments personnels, sinon on peut ne pas comprendre pourquoi, soudain, je prends pour sujet l'homme le plus podcasté de France, moi qui hais la mode des médias et m'en tiens, comme dit ci-dessus, systématiquement éloignée en cultivant la surdité et l'aveuglement (blague peu drôle en ces temps où je suis - réellement - borgne provisoire en souffrance).

Ce que je vais tenter de développer en quelques points ici, et que je n'ai pas trouvé bien exprimée dans ma recherche frénétique d'informations, de commentaires et de visionnage de chroniques ou extraits divers du monsieur sus-cité et sous-cité, c'est l'idée que Stéphane Guillon a réussi, en quelques jours, à remplir dans mon coeur un bout du vide intersidéral que la mort de Desproges y avait laissé. [Pour indication les nuls avaient déjà une petite place à cet endroit (j'ai beau pas être à la mode, j'ai les goûts de tout le monde - paradoxons)].

Ce n'est pas rien.

On peut d'ailleurs noter que pour pas mal de personnes de mon entourage qui sont en général de bon conseil (père, mère, chéri, ...) mon enthousiasme semble absolument déplacé et ce type ne présente pas un intérêt à la hauteur de ce que je lui prête. Seuls quelques commentaires informés trouvés sur la toile, par exemple celui de Frédéric Schlesinger (visible sur http://www.dailymotion.com/masterjournalisme08)
semblent aller dans mon sens. Je vais essayer de montrer pourquoi SG me semble un grand clown (je préfère à "humoriste", principalement parce que je ne vois pas bien la différence, je suis loin d'être la personne la plus maligne du siècle, mais aussi parce que je trouve que son travail de création de personnage, qui a évolué dans le temps de façon visible je trouve même si je ne développe pas, autorise à le classer dans cette catégorie) et dire quelles différences et points communs je vois avec le travail de Desproges, vu comme
grand maître de l'humour noir et enchanteur du quotidien. (Sur Desproges, je n'ai aucun texte sous la main, et c'est ma mémoire de luciole qui est utilisée, il peut y avoir quelques erreurs.) Les contraintes fortes qui impliquent les différences me semblent être : la nature même de la société dans laquelle SG doit s'inscrire, mais aussi sa personnalité et, peut-être (pardon), sa plus faible compétence apparente dans la mise en scène.

Données
Mes réflexions s'appuient sur une documentation que j'ai rassemblée de façon très concentrée dans le temps (les trois derniers jours, tout sur le oueb gratuit). Il s'agit principalement de l'écoute (et un peu de visionnage) assez systématique des vidéos de ses chroniques sur France Inter (donc datée de moins d'un an et plus ou moins positionables dans le temps, collant à l'actualité - c'est Daily Motion qui fournit la base), qui m'ont largement plus intéressée que les quelques portraits sur Canal que j'ai pu voir (et d'ailleurs je pense que si j'avais découvert le bonhomme par ce biais-là, je n'aurais qu'haussé un sourcil poli, comme par exemple pour Baffie, que j'aime bien et qui a la grande classe, mais ça s'arrête là - deux hypothèses à mon désintérêt seront dans le texte) ou ses extraits de spectacle, que je ne peux pas dater du tout avec Daily Motion et qui sont très inégaux en qualité (de la tranche de foie gras au big mac). J'ai aussi regardé un peu le site officiel (étonnamment illisible), les interviews, lu quelques commentaires de fans ou ennemis sur des blogs, vu quelques vidéos prises apparemment par des étudiants dans des écoles où il est intervenu, et lu un papier intéressant par le vide de l'argumentaire mais la présence de reproches difficiles à comprendre, dans un Marianne récent (à part si on y reconnaît l'obsédant "c'était mieux hier"),
http://www.marianne2.fr/Avec-Stephane-Guillon-le-rire-est-fini_a180922.html
et finalement regardé envoyé spécial du 18 juin qui, en gros, n'apporte pas grand chose à une bête recherche par mot-clef sur google sauf quelques images plus ou moins intimes permettant de matérialiser un peu le quotidien. Je n'ai donc, déjà dit, que des informations visibles sur le web et accessibles facilement avec google, daily motion et you tube, sélection un peu spéciale car
, hors des images officielles de France Inter, elle relève également de la construction du personnage par une "communauté" (abstraite) de gens qui ont cru bon de rendre accessibles ces données. Je n'arrive d'ailleurs pas bien à savoir si je m'intéresse à SG ou à l'image de SG, ce qui est bien en phase avec notre monde contemporain (société du spectacle disait l'autre), on se refait pas. Comme j'ai arrêté de m'intéresser à la sémiologie, la philosophie, la critique littéraire et toutes ces choses intelligentes à l'âge de 20 ans, je ne vais sûrement pas dire des choses vraiment fines, et on peut s'attendre plutôt au café du commerce. Accrochons-nous.

Le personnage
Synthétisons un peu les informations.

Déjà, sur le personnage de clown : méchant, caustique et cynique, noir, parfois à la limite du vulgaire avec grand usage de mots à connotation sexuelle, un intérêt thématique fortement porté sur le traitement médiatique, et en sous-catégorie centrale le people, même quand il s'agit de discours sur le politique, mettant malgré tout en avant plutôt des valeurs dites "de gauche" mais qui semblent plutôt bêtement humanistes et pourraient être de droite classique avec morale (dite "pré-UMP").

Sur le personnage public, tel qu'il apparaît dans les interviews, les commentaires ou le reportage : pas d'études (commentaires positifs (!!) sur twitter sur ce sujet, alors qu'on s'en fout un peu, y'a un vrai problème avec l'école dans ce pays), riche, père de famille nombreuse qui semble très attaché à sa femme avec qui il travaille en étroite collaboration, gros gros gros bosseur et légèrement prosélyte sur le sujet (on le dirait presque protestant, à ce point-là) insistant sur le fait qu'il montre à voir un résultat d'ordre professionnel (souvent, quand il est attaqué, il le rappelle), qui a eu a faire un choix fort vers le one man show parce qu'il ne perçait pas autrement, appréciant peu la vie people, et puis pas mal de caractéristiques presque inhérentes au métier de clown et de la scène : anxieux, misanthrope, exigeant, mélancolique voire triste, précis, en décalage avec le monde.
Avantage certain pour capturer une certaine audience : beau mec devenant de plus en plus sexy avec l'âge (avis personnel mais aussi identifié dans les diverses sources d'information, touchant femmes et hommes d'âges divers, même dans le reportage de France 2 ça commence "charmeur, blablabla") - on peut noter que, à mon avis, les chroniques sont d'ailleurs meilleures à regarder qu'à écouter, il est du genre d'acteur qu'il faut voir impérativement, peut-être. Il a d'ailleurs (commentaire esthétique) une voix qui s'améliore en devenant plus grave avec le temps, je me demande si ce n'est pas même de là que vient mon désintérêt des portraits sur Canal - il avait
anciennement une voix nasillarde (hypothèse 1 annoncée plus haut).
Je trouve, quand même à ce stade, que le jeu entrelacé : côtoyer les peoples, leur parler en public, connaître très bien toutes les ficelles, et in fine
ne pas trop aimer fréquenter les lieux de leur rassemblement - si c'est un exercice réel et pas seulement simulé pour les besoins du personnage public - est suffisamment complexe et post-moderne pour me plaire. Ce n'est pas précisément profond, on ne peut pas aller jusque là, mais c'est preuve d'une forme de cohérence qui n'est pas si souvent mise en avant en ce moment.

Les chroniques
Dans les remarques qui suivent certaines seront reprises dans la section d'après car je dis ici qu'il fait des choses que certains critiques lui reprochent de ne pas faire.

Il faut noter déjà, que quand on écoute les chroniques on retrouve parfois des bouts de texte très bien rodés issus des spectacles. Au vu de la densité de la présence qu'il faut avoir dans les minutes qu'il pose sur la table tous les matins, ça se justifie assez bien. Le style est très cohérent et suivi, ce qui est normal pour pouvoir exercer ce métier, mais qui mérite d'être apprécié car un style personnel développé comme ça et mobilisable à chaque moment, c'est déjà en soi un boulot monstre. Je trouve la langue agréable et très correcte, même si elle n'est pas le centre de l'invention chez lui. Mais il est vrai que je suis une utilisatrice régulière de gros mots, et je conçois qu'on trouve qu'il en utilise un peu trop.
Je n'ai pas détecté de changement de style net sur les chroniques, par contre les portraits et les chroniques se démarquent nettement. Je trouve les chroniques plus denses, sûrement parce qu'il n'y a pas besoin des rires du public, et il y a fatalement plus de choses à dire sur un sujet libre. Elles sont aussi un peu moins basées sur le personnel, par définition, ce qui permet de faire passer plus d'éléments de sa vision du monde. Justement.

"la voix de ceux qui n'ont pas de voix" - ça c'est lui qui se revendique, et ça ne semble pas faux. Une accumulation de remarques très sanglantes vis à vis d'un pouvoir irresponsable et dépensier, mise en avant de contradictions dans les choix politiques que peu de média relèvent (sauf sûrement le canard, mais il a une audience différente) et beaucoup d'incantations auprès du public à ne pas perdre de vue le contexte dans lequel les médias s'agitent : crise, nombre de chômeurs élevé, SDF, réalité de l'enfance, de l'immigration, pas mal de détail assez terre à terre du quotidien. En ça, je trouve qu'il joue bien ce rôle, mieux que la plupart des comiques que j'entends ou ai entendu. Je pense en particulier aux textes sur "Welcome", la rolex à 50 ans, les enfants en prison, NS chez les narco-trafiquants. (Je ne fais pas du tout exhaustif, puisque j'ai écouté le tout une seule fois, mais je ne prétends pas à un travail de rigueur absolue, je peux ajouter à la demande -dit-elle à ses non lecteurs). Il réussit à pousser tout le monde à acheter le disque des restos du coeur tout en disant que ce n'est pas bon, mais "quand il n'y aura plus de pauvres en France, ce ne sera plus la peine" - citation approximative. La présence récurrente de ce type de positionnement fait penser que l'auteur des textes (SG) a réellement un but pédagogique qu'il déroule dans la continuité de son discours, il y a une vision du monde à faire passer, doucement, et vu cela, je ne suis pas du tout persuadée, comme certains critiques, que choquer soit une fin chez lui. Ca semble plus un moyen.

un intérêt obsessionnel pour le spectacle. les médias et le people, j'ai déjà dit, sont les sources thématiques. Rapidement on peut conclure que c'est logique que ce soit ses collègues qui se plaignent de lui de façon récurrente et violente. Comme en plus les médias français contemporains sont très coupés de leurs lecteurs / auditeurs (référence paradigmatique : le référendum sur la constitution européenne avant le "pilonnage médiatique" pour reprendre un terme de journaliste, et après la réaction de Serge July), on imagine un peu leur désarroi moyen. Bien sûr, ça peut avoir les défauts de ses qualités quand c'est poussé à l'extrême, et on n'est pas forcément passionné par ses remarques sur ses voisins de table le matin sur France Inter. D'autant que des fois il est un peu méchant pour des gens qui nous sont inconnus, il s'amuse tout seul (mais bon, moi aussi j'aime bien m'amuser dans mon boulot). (hypothèse 2 référant à l'introduction : les portraits n'étant que sur la vie des stars et ceci ne m'intéressant guère, je ne vois pas pourquoi j'aurais accroché...).
Visiblement, il aime aussi tout simplement ce thème parce qu'il n'apprécie pas vraiment le monde du strass et s'en sent éloigné (personnage public). En plus, cela me semble assez cohérent avec l'idée qu'il se présente sans cesse comme un professionnel pur : il voit aussi les personnages publics sous cet angle et c'est ainsi qu'il les attaque principalement. Ou du moins qu'il prétend les attaquer, je suppose que certains doivent sentir des tendances personnelles parfois, mais la limite est complexe.
En même temps, à mon sens d'évolutionniste inconditionnelle et vu ce qui est décrit de ses difficultés antérieures, c'est aussi un problème de sélection : il est un peu inimaginable que ce type ait perçé ainsi en 200x sans cette forte obsession thématique. C'est l'époque qui veut ça, la télé regarde la télé et quand on est à une table de radio il faut se moquer de ses voisins immédiats, à la fois pour faire rire les auditeurs dont la vie est tournée vers les médias, et par habitude de ce monde. Là, on peut dire que Desproges était d'un autre temps. On pouvait alors faire un monsieur Cyclopède sur Napoléon ou Hitler et faire rire. Imaginons maintenant, bof.


une affirmation permanente de virilité. En tout cas, beaucoup de références aux couilles. Référence externe : si on écoute un peu les blogs de France Culture passant les émissions de la BNF, il y a justement un cour tout récent par des historiens pile sur les représentations de ce qu'est un homme : la semence, le courage, la bite qui ne mollit pas, tout cela est essentiellement lié dans le discours depuis la fin du XVIII ième. Alors ça m'interpelle de l'entendre en permanence chez Guillon, qui associe toujours courage et couille (on peut s'en faire greffer / conclusion du discours de Sarkozy en nouveau comique) ; il dit même, dans une interview que j'ai entendue il y a deux jours, je sais plus laquelle, qu'on aurait dit que s'il est aussi couillu quand il est avec sa nana que dans ses chroniques, elle doit être contente (approximatif). C'est un trait de son personnage de clown qui m'étonne plus que les autres et c'est pourquoi je m'étends un peu dessus. Il est difficile de déterminer si c'est par peur personnelle (mais on doute, au vu de la maîtrise globale du personnage, qu'un truc aussi direct puisse passer), par pure plaisir de dire le mot, pour choquer facilement ? Il aime parler de cul, ça semble un plaisir, alors ça va peut-être bêtement dans le même sens. Bien sûr, ça peut aussi rebuter pas mal de monde, les gens ne sont pas trop versé dans ce vocabulaire en moyenne...

une foisonnante création d'univers absurdes. C'est pour moi sa grande qualité, et je pense ce qui m'a fait m'intéresser immédiatement à son discours. C'est une partie parfaitement maîtrisée, en renouvellement permanent et qui passe comme des vérités - la liste des cadeaux de Noël de l'Elysée, 50 bulletins de Ségolène Royal retrouvés dans le sac d'un aspirateur d'une permanence lilloise, les deux bébés siamois décollés dans le crash. C'est le principe de l'humour noir, sûrement, qui le pousse à ça, mais c'est sa forme à lui de poésie. En ça, il s'approche de Desproges (humour noir) mais en diffère à nouveau. Desproges, si je ne me trompe, était plus proche du quotidien dans ses décalages, et jouait beaucoup plus sur le calembour et les jeux de mots, ce que SG utilise peu.
Aussi, pour mettre en place son univers personnel, SG se répète - chaque personnage décrit a une marque nette qui lui colle à la peau, un peu comme dans les Guignols. De façon plus générale, on trouve par exemple les membres de certaines institutions en grabataires à chaque apparition (CSA, Conseil constitutionnel). Cela aussi participe à la fondation d'un univers, certes caricatural, mais assez complet et cohérent, qui raconte bien notre monde institutionnel et qui est en moyenne assez bien fondé sur des faits observé. A l'inverse, je trouve que Desproges était plutôt dans une variation sur quelques thèmes et une poésie de la transformation du même, de la multi-interprétation du même fait (par exemple, les multiples commentaires de Guernica dans son agenda).

Le noir et le monde ré-enchanté - ce sont les deux points communs avec Desproges qui ont éveillé de suite mon intérêt. Les chemins pour y arriver sont très divers, donc. Celui des Nuls était encore autre. Je ne cite là que ce que je connais relativement bien, j'ai déjà dit que j'ai une culture d'escargot, non ? En bédé, (je ne sais pas pourquoi mais) il me rappelle un peu F'murr, et (là je sais pourquoi) l'équipe de Hara-Kiri de la grande époque.

de bonnes imitations. Je suis allergique aux imitateurs en général, et lui j'aime bien. Ses accents sont réussis et il tape seulement dans un petit registre de personnalités qu'il fait très bien. Surtout, les textes sont bien adaptés aux personnalités, très crédibles (je pense surtout à NS et à Lucchini). [Ce n'est sûrement pas un bon compliment de ma part, puisque je n'aime pas les imitateurs, donc compétence sur le sujet = 0.]

une grosse documentation et de bonnes synthèses. C'est comme le côté bosseur pathologique, ça se sent en trois chroniques et deux portraits, il veut savoir tout sur tout pour ne pas dire de conneries (de son point de vue). Confirmé par l'image donnée dans le documentaire. Il fait en outre, à mon avis, de très sérieuses explications de texte, mises en relation de documents trouvés dans des médias divers. L'exemple de Martine Aubry est celui qui apparaît dans le documentaire, mais il applique un peu à Séguéla, un peu à tous les ministres, et à sa chronique déjà mythique "the sky between us". C'est plutôt minutieux. (J'admire d'autant plus que c'est un travail où je suis nulle, et donc je sais le voir et l'apprécier chez les autres).

du courage. Globalement, dire ce qu'il ne faut pas dire en étant conscient des tabous me semble toujours très courageux, même si c'est mauvais ou si je ne suis pas d'accord. On s'expose beaucoup. D'ailleurs il se fait pas mal attaquer. Mais cela s'applique aussi à des humoristes que je n'aime pas particulièrement ou à pas mal de gens qui font des chroniques dans les journaux. Un petit point intéressant dans les textes de SG, même quand il se dit lâche il est courageux (sur les barbus). Je suis de ceux qui aiment ce type de figure de style.

Les critiques
Parmi celles que j'ai entendues / lues, certaines sont un peu anecdotiques :
"Pas assez de vocabulaire" "pas de jeu avec les mots" - oui bon, peut-être mais il n'y a pas qu'une façon d'utiliser la langue, tant que c'est correct, c'est toujours mieux que la moyenne.
"Fumiste qui force les gens à rire" - c'est bizarre pour quelqu'un qui remplit des salles - paie-t-il les spectateurs pour venir ? Est-on payer d'autant plus qu'on s'est plus ennuyé ou qu'on a plus participé au rire collectif ? Bon plan, tout le monde y va.
Revient toujours la question de la méchanceté. Dans ma tête j'ai mis ça dans la rubrique "choquer" - moyen plutôt que fin - mais il est vrai que parfois il s'attaque à des collègues de son boulot, ça ne cause à personne, ça semble bizarre (et d'ailleurs il y a des réactions sur le plateau). Il a aussi une tendance à taper facilement sur le physique des gens. A la limite, quand ils le choisissent volontairement et que ça se voit (UV ou chirurgie), et alors on peut dire que la "triche" de cette personne est une donnée publique...., à la limite. Sinon, je trouve ça un peu bas, mais c'est ma vision du monde.
"n'a pas le sens de la répartie". Euh... plus que moi, très certainement.
Raciste, homophobe, sexiste. Est-ce vraiment une remarque tenable sur le long terme ? Pas à ce que j'ai vu en regardant beaucoup de chroniques, même s'il est indéniable qu'il dit parfois des choses qui localement semblent absolument inutiles et un peu trop dans les caricatures habituelles. Juste une question qui se pose pour moi : un épisode me choque personnellement un peu. Il s'agit du sketch que j'ai trouvé sous l'appellation "la vie d'une femme" dont la date n'était pas indiquée. Je me suis demandé un certain temps s'il allait s'y dérouler quelque chose de drôle ou d'intéressant, hors poncifs convenus, mais je n'ai pas compris ou trouvé quoi que ce soit. Je pense, mais ça c'est vraiment pas mes oignons, qu'un spectacle peut faire 10 minutes de moins et ne pas avoir ce truc un peu visqueux au milieu. Je redis : j'ai pas vraiment à exprimer mon avis, je ne vais pas faire l'erreur de me projeter sur SG, si lui il trouve ça drôle, ça veut dire que ma proximité intellectuelle n'est pas totale - il existe donc plusieurs êtres humains sur terre, c'est plutôt rassurant.
"Il est nul en mise en scène" trouvé sur des commentaires sur un blog ou je ne sais où. Je suis obligée de reconnaître que face à ma référence principale ici - la minute de monsieur Cyclopède - il y a un sacré manque de decorum. C'est d'autant plus criant que quand il fait une mise en son (on dit ça ?) ou quand il met trois photos de Ségolène dans son dos, c'est très très efficace. Pourquoi pas plus ? Parce que c'est de la radio ? Oui mais c'est filmé.... [Je crois que celui qui avait mis ce post précisait plutôt une lecture sans vie, et j'ai plus de mal à suivre sur ce point.]

Le seul texte entier et construit que j'ai trouvé est celui de Marianne cité en intro, qui m'a d'abord interpellé (à la première lecture) car les thèses auraient pu être pertinentes, puis je l'ai relu et j'ai été soudain un peu déçue du travail du monsieur qui a écrit ça (c'est un peu pour ça que j'ai écrit ce post). Il m'a semblé particulièrement mal informé. Par exemple, il n'a pas identifié que la blague du crash était issue d'un vieux spectacle, au moins 2007, et son sens est clairement un positionnement contre l'hypocrisie médiatique.
A propos de l'hypocrisie sociale, je fais un aparté pour envoyer vers un auteur que je trouve très intéressant, Eric Chevillard et son blog, numéro 561, je mets la citation à la fin avec le lien de la BNF sur la construction de la virilité.
Revenons à l'article : avant de critiquer publiquement, j'aurais fait attention, non ? Ensuite il se plaint principalement du "gros dérapage" sur DSK (que mon père n'a pas du tout aimé. quant à moi, même après plusieurs écoutes, je trouve qu'il ne tient pas complètement la longueur et devient un peu répétitif mais rien de choquant). J'ai vu la petite justification que donne SG sur @si et j'avais déjà plus ou moins tiré les mêmes conclusions de cette histoire. Il me semble étrange qu'un type dont le comportement le ferait virer de n'importe quelle entreprise privée, avec forte suggestion de suivre une thérapie, on ne plaisante plus trop avec le harcèlement sexuel de nos jours, puisse, sous couvert de célébrité et de responsabilité internationale (donc d'insertion dans un réseau particulier), faire un peu ce qu'il veut et ne pas accepter qu'on signale les abus. Il trouve ça méchant ? Et c'est pas méchant son comportement à lui, considérant qu'il ne se fait pas soigner et n'essaie pas de changer, justement ? Et irresponsable ? Je trouve bizarre que les journalistes (même dans ce type de publication), en plus de ne pas oser dire les choses, engueulent ceux qui disent. Ca se tient évidemment sur tous les reproches fait au pouvoir. Ce journaliste, dans sa rubrique dit en particulier que SG ne s'attaque pas aux puissants. Alors je me dis qu'on ne parle peut-être pas de la même personne, parce que justement, c'est LE puissant de notre pays qui est très largement dans son collimateur, et c'est rare qu'il laisse ses ennemis tranquilles, donc il y a courage. En plus j'ai déjà dit, ses argumentaires sont - tout de même souvent - basés sur la mise en relation de faits réels plutôt saillants et oubliés par les médias traditionnels. Le côté langue de pute, je l'attribue à l'impossibilité de tenir ce rythme dans la synthèse intéressante. On est obligé de faire dans la facilité parfois. Et l'actualité n'est pas toujours au rendez-vous (il le dit lui-même une fois où il tombe bas, mais je n'ai plus la référence).
Le journaliste - je l'attaque un peu personnellement mais il me semble typique de ceux qui disent du mal sans savoir de quoi - dit :
La provocation actuelle - et Stéphane Guillon en fournit un exemple achevé - cherche moins l'éclat de rire grâce à la libération d'un corps heureux de se laisser aller que les grincements du coeur et de l'esprit, le malaise oscillant entre ricanement presque drôle et indignation légère.
Je me souviens de Desproges et de son "on me dit que des juifs se sont glissés dans la salle". Rire libérateur ou création de malaise - je préfère la seconde option, bizarrement.
Bref, je trouve que ce journaliste nous fait tout un foin d'un changement de monde juste parce que SG ne le fait pas rire. Ca c'est légitime. On ne peut pas se forcer à trouver quelqu'un drôle, où est le souci ? Je ne vais pas non plus m'appesantir, c'est hors sujet mais ça m'énerve aussi, sur son introduction pompeuse sur "Bergson parle du rire mais ça ne nous aide pas ici". A-t-il lu Bergson, même, pour que ça l'aide ? Ou en a-t-il parlé en cours de terminale ? Je peux faire plein de variations, si je veux... "malgré les recherches en neurosciences sur le rire, on ne peut pas savoir pourquoi le public de SG rit" (et je pense que ce n'est pas une contre-vérité en 2009). Je ne sais pas si ça aide à comprendre le propos général du texte.
Bon, là je retombe un peu dans mes travers professionnels, il est temps de conclure.

Conclusion
L'exercice de grande concentration de recherche sur un sujet que je suis la seule à ne pas connaître était très intéressant car il révèle que finalement, il y a peu de commentaires réels et soutenus par des exemples textuels ou des références dans l'internet gratuit (je ne dis pas que le mien en est un, mais au moins j'ai essayé un peu). Cela m'a permis aussi de passer de l'état de midinette obsèdée à s'en faire péter les tympans par un humoriste beau gosse à fan d'un clown plutôt profond et cohérent qui peut justifier de ce qui lui plaît dans un travail. On se sent moins bête.

J'ai une sensation mal justifiée face au travail de Stéphane Guillon. Ca va avoir l'air absurde et mal venu, puisque ce type a 10 ans de plus que moi, mais ça me semble encore "jeune". Je pense que c'est justement le retour régulier au mode potache comme refuge qui me fait penser ça. Je n'ai aucun moyen de justifier, mais j'aimerais voir l'évolution sur deux-trois ans. Pour l'instant je ris beaucoup, je ne le nie pas non plus. Et pourrait-il garder son public sans ça (toujours la même question).

Deuxième point qui en découle : combien de temps cela peut-il durer ? Deux problèmes : l'usure, le risque.
Comme je suis plutôt du mode fainéant, je me demande s'il est possible de tenir à ce rythme endiablé bien longtemps. L'humain a des limites physiques. Mais je suppose que dans les médias, tout le monde est plus ou moins comme ça...
Je n'arrive même pas à comprendre comment j'ai pu, en étant si en retard, entendre une seule intervention de Stéphane Guillon en live, après tout ce temps passé à se faire détester. Le fou du roi est nécessaire au pouvoir, mais pas quand le roi ne joue plus ce jeu-là et qu'il achète tous les récalcitrants ou les fait virer. Je m'étonne encore, et je prie un peu (pour une fois) pour avoir la chance que la liberté d'expression par le rire agisse encore hors du local, entre amis à table, et se voit sur toutes les radios, les chaînes, ... C'est pas gagné.
Sur les conclusions sur liens et différences avec Desproges, j'ai déjà fait des mini-conclusions dans le texte, je ne commente pas.
Je reviens juste à mon titre : je n'aimerais pas être clown. C'est très compliqué, long, laborieux, ça implique beaucoup tous les aspects de sa propre vie et force à voir le quotidien sous un angle vraiment très triste. En plus c'est courageux - il faut à longueur de temps s'excuser. Et dernier point que je détesterais : répéter sans cesse les mêmes blagues. C'est vraiment éprouvant, vu de l'extérieur, même si c'est certainement une vocation et que passé un certain stade, on ne sait plus rien faire d'autre.


Deux références :
Lien de la BNF
http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/nouveau_prog/connaissance/alacarte_fiche.php?src_id=1&diff_id=255000171

Dans le 561 de Chevillard :
Nul ne pousse la compassion jusqu’à s’affliger sincèrement d’une inondation dans la cave d’un autre. S’il est une chose dont on se fout, c’est bien de la cave inondée d’autrui. Nous feignons pourtant d’être bien embêtés, et toute société ne tient que grâce à ce ciment d’hypocrisie.

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