25.6.07

l'homme de la rue

L'homme de la rue a les cheveux qui se raréfient sur le dessus du crâne, une barbe de trois jours blond-roux, la peau couverte d'un hâle léger, lui aussi vaguement roux, quelques rides mais sans exagération. Il dit parler cinq langues, le bulgare, le gitan, le mongol, un peu d'italien, le français. Il se dit mongol, un peuple dont les représentants sont rares en France. Comme son français est parfait, très précis et sans accent, je m'étonne et il ajoute une mère française à ses origines. L'homme de la rue vit à marseille, qui n'est pas sympathique ni facile, mais moins dangereuse que paris, ville de bandes où il ne fait pas bon être seul. Il faut rapidement s'y caser, s'y débrouiller, dit-il avec un geste serpentin de la main. L'homme de la rue a vu partir, sans comprendre, il y a quelques jours la jeune femme qui l'accompagnait, mais il ne semble pas très affecté par ce fait. Côté solitude, il est veuf depuis trois ans et ses enfants sont placés en maison d'accueil. Ils vont très bien, polis et propres, mais il ne les voit que quelques heures tous les mois. C'est le contrôle judiciaire qui garantit que la rencontre est limitée dans le temps. Car l'homme de la rue n'a pas l'air d'un rigolo. Il décrit rapidement ses blessures, qui l'empêchent de travailler, blessures, paralysie d'une main et coups de couteaux diversement répartis et montre ses impressionnantes cicatrices enchevétrées aux tatouages. Il dit savoir se battre et avoir un couteau malgré tout sur lui, pour les cas de bagarre à plusieurs où les mains nues ne suiffisent qu'à se faire démonter. Il n'a plus ses papiers, volés la semaine dernière et qu'il doit faire refaire, et a perdu son gros sac il y a peu. La bagarre et l'oubli sont plus faciles la nuit, surtout quand on a bu un coup de trop et que le verbe devient vert. Car la vraie raison de son chômage, dit-il, c'est l'alcoolisme, qui le rend dangereux - pour lui ce qui n'est pas grave à son sens - pour les autres ce qui le gêne plus. C'est difficile de s'arrêter, quand on retourne au plein air dès la cure de désintoxication finie, que la journée se passe sans parler presque et que le soir est vide.
Et l'homme de la rue est dans la rue, tandis que les bus passent et que la chaleur monte, devant les piétons, sa bouteille de rouge posée mais pas cachée derrière son sac et le fond d'une bouteille d'eau découpée à ses pieds, signe qu'il demande de l'argent. Il a un air très serein et posé, calme et poli sans inquiétude, qui le différencie (j'ai trouvé à cet instant) de nombreux autres hommes de la rue qui s'installent devant nos yeux. Sa voix est elle aussi calme et sans émotion malgré ce qu'il raconte et désigne comme des échecs et des incapacités. Mais il semble accepter sans résignation, juste accepter, qu'une traversée de l'Europe aventureuse à quatorze ans se transforme en une situation moins glorieuse quand le temps passe.

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